Liam Cole - Vous allez rendre l'âme...

Boom !
La voiture s'encastra sans ménagement dans l'arbre, juste à côté de Liam qui levait les yeux au ciel, se moquant de la futilité de cet accident. Le bruit de la tôle froissée et les gémissements du moteur rendant son dernier souffle lui vrillèrent les tympans. La ferraille mêlée au plastique s'enroula autour du tronc, accompagnant le chant abominable des os cédant sous la pression soudaine et implacable. Quelques sanglots lui parvinrent puis le silence reprit ses droits.
— Classique, constata-t-il en se dirigeant vers la portière du conducteur.
Il l'ouvrit et observa le liquide visqueux empestant le fer qui coulait sur la vitre. Gourmand, il collecta quelques gouttes sur son index avant de le porter à ses lèvres. Ouais. Il avait toujours aimé ce parfum si particulier, certains sangs ayant un effet sur son organisme. Il reporta son attention sur la tête du pauvre garçon qui s'était écrasée sur le pare-brise, n'ayant miraculeusement pas cédé sous le choc.
— Allez, allez, on se réveille ! s'exaspéra Liam en secouant l'épaule du mec. J'ai pas que ça à foutre !
Un halo de lumière se matérialisa tout autour du corps et ondula pour le reproduire au détail près. Seth pouvait la voir à présent et sentait tous les parfums qu'elle dégageait : peur, appréhension, angoisse... Mais une autre essence lui chatouillait les sens, celle d'une vie qui continuait de se battre, rétive à l'idée de complaire la fatalité qui la frappait. Il se pencha dans l'habitacle et aperçut une jeune enfant dans son siège adapté. D'un coup d’œil expert, il sut que ses jours n'étaient pas comptés - pour le moment.
— Tu as tiré le bon numéro, Alice. Je vais m'occuper de ton papa, mais nous nous reverrons bientôt, très bientôt, soit sans crainte.
Liam retourna à sa principale occupation, la seconde ne valant rien si elle respirait encore. Il ne lui ferait pas la morale bien que l'homme roulât sans ceinture, ce n'était pas son job, il ne désirait pas ôter le petit plaisir des juges. Il laissa quelque instant à l'homme pour reprendre ses esprits -  enfin, façon de parler - puis attira son attention pour lui déclarer d'une voix formelle :  
— Bonsoir, Mathieu, vous êtes mort et je vais vous accompagner jusqu'au Purgatoire. Je suis la Faucheuse.
Pas la Grande Faucheuse, sa boss, évidemment. La suite se déroula comme dans un rêve lointain aux douceurs délicieusement sucrées. Une longue faux se matérialisa dans ses mains afin de scinder l'âme et le corps à jamais. Il acheva cette vie innocente, dont la seule erreur fut une plaque de verglas fourbe et mesquine, coupant la liaison qui l'attachait à cette existence. Comme toujours, la délivrance de l'âme provoqua chez lui un merveilleux sentiment proche de la jouissance et il dut contenir le plaisir qui  
l'animait pour rester concentré. Il se mordit férocement la langue et fit taire les râles qui manquaient de s'échapper alors que ceux de douleur de l'humain alimentaient son allégresse. Secoué de soubresauts, le corps vibra avant de s'écrouler totalement sous l'effort qu'il venait de produire. De son autre main, il plongea cueillir le fruit de son travail.
La voix de l'âme déchira le calme imposé par les ténèbres avant de se volatiliser dans un nuage de fumée.

Liam ne possédait aucun souvenir d'une éventuelle existence antérieure. Il s'était brusquement réveillé dans un champs, sans fringues et souvenirs. En revanche, une douleur de tous les diables avait martelé son crane et des images funestes avaient défilé dans son esprit. Bordel. Ces visions n'avaient jamais cessé depuis ce jour. La Mort ne se formalisait pas à enseigner l'art du fauchage à ses nouvelles recrues - peut-être s'était-il bituré avec sa faucheuse personnelle, mais il s'était barré avant qu'elle émerge, c'était pas impossible le connaissant - il avait découvert son rôle sur le terrain. Il n'était pas une créature sans battement de cœur, mais Liam ne se sentait pas vivant pour autant. Il manquait de sensibilité et de sentiments, excepté pour sa faux, son outil de travail préféré qui ne le quittait jamais.

Le faucheur se laissait guider par la mort, changeant de ville quand les emmerdes devenaient ingérables, car c'était un passe-temps acceptable à ses yeux. Il venait de s'établir dans un autre coin, troquant la lame du mercenaire pour la pelle du fossoyeur. Liam aimait particulièrement les cimetières et les catacombes, surtout ces dernières, il avait déniché le taff rêvé pour un être de son espèce. Au moins, il pouvait fumer sa clope tranquillement, les locataires ne s'en plaindraient pas, haha !